"Comment finira le capitalisme ? Il ne sera probablement pas renversé par
une révolution, mais son système mondial de création de richesses et de
valeurs va lentement se déchirer, abandonnant des régions et des
populations entières à elles-mêmes – ce processus est d’ailleurs entamé. Ainsi, le capitalisme mondialisé sera lentement mité par l’expansion d’une « zone interdite » englobant les laissés-pour-compte" (Hakim Bey)

De ce que j’ai pu comprendre en
regardant des films sur le sujet, c’est qu’on ne revient pas nécessairement
indemne des escapades spatio-temporelles.
clipping. a depuis longtemps
trouvé cet équilibre de corde raide, embarqué de la sorte dans son Nostromo
sonore depuis une bonne dizaine d’années. Bon, j’avoue avoir passé la main
depuis un Splendor & Misery vaguement décevant, éclipsant par la suite
l’excellent dytique qui lui a succédé. Mais avec ce sixième Dead Channel Sky,
clipping. fait
un
putain de grand écart forcené. En forme
de grand bond en avant suspendu, à fortement incliner son hip-hop exploratoire
et virtuose vers une certaine idée de cette électro polymorphe qui foisonnait
il y a 3 décennies. A croire que les années 90’s sont un peu l’âge d’or des
musiques électroniques de tout poil (comme les années 80’s ont pu l’être pour
la variétoche, les années 60’s pour le rock le vré…). Et le trio angeleno va y piocher allègrement dans ce pot de
miel sans fond : techno, jungle, edm, glitch, downtempo, acid house ou big
beat (j’ai même entendu de vagues relents d’eurodance sur Dominator mais bon, clipping.
c’est pas non plus Die Antwoord)…
Y en aura pour tous mais
clipping.
se démarque dans un exercice d’assemblage rétrofuturiste frénétique, la tête
résolument orientée vers des cyber-dystopies corrosives (vite rattrapées depuis
par la réalité bestiale d’une post-vérité assénée par un MAGA’s coprophage vendu
à la solde de hackers post-Soviet). Du hip-hop originel il ne reste même pas le
squelette d’une queue de poisson : subsiste seulement l’incroyable flow de
Daveed DIGGS qui parvient encore à amarrer leur astronef à notre vallée des larmes
(et au monde du rap). Comme un prophétique
communication breakdown,
c’est sur les stridences d’un vieux modem que Dead Channel Sky brouille tous
les signaux en revisitant toute les nuances underground de cette électro alors
émergente, rebelle et dopées aux expérimentations bravaches. Retour vers un
futur afro et métissé qui cultivait l’art du cyberpunk et du soundsystem. Au
milieu de ces assemblages de dissonances parasites taillées au cordeau on ne va
pas oublier le groove crâneur d’un "Dodger" qui vous colle les noix sur le
dancefloor. Ni cette inclinaison naturelle pour des pépites quasi tubesques
(comme "Keep Pushing"…) sans pour autant se renier. Côté invités on retiendra
entre autre l’intervention divine et incongrue d’un Nels CLINE qui pousse
toujours un peu plus loin la note discordante de sa guitare sur un "Malleus" au
swing statique et anguleux. Concept album exigeant et paradoxalement leur
travail le plus accessible
clipping. a depuis longtemps choisi son
camp : celui des forcenés qui ont opté pour le versant résolument
expérimental que sait encore offrir le hip-hop face à la déferlante
bling-bling (à
l’instar de trucs chelous comme
Death Grips, Dälek , le Atrocity
Exhibition de Danny Brown ou les Shabazz Palace). Dernière zone autonome (et
temporaire) dans cette jungle de fibre optique, ce Babel de
yout(e)ubers aux 100k likes truffé de pop-ups
aux injonctions totalitaires. Et c’est sur
SubPop, ce label qui aura participé à l’éclosion de Nirvana et ses pairs.
Depuis, une recherche de qualité sans compromis semble être sa seule ligne artistique.
L'Un.
clipping. : "Dead Channel Sky" (SubPop. 2025).